L’Art de perdre d’Alice Zeniter

 

 

L’Art de perdre d’Alice Zeniter,

Publié aux éditions Flammarion,

Prix Goncourt 2017 des Lycéens,

2017, 512 pages.

 

L’Algérie dont est originaire sa famille n’a longtemps été pour Naïma qu’une toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société française traversée par les questions identitaires, tout semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle avoir avec une histoire familiale qui jamais ne lui a été racontée ?
Son grand-père Ali, un montagnard kabyle, est mort avant qu’elle ait pu lui demander pourquoi l’Histoire avait fait de lui un « harki ». Yema, sa grand-mère, pourrait peut-être répondre mais pas dans une langue que Naïma comprenne. Quant à Hamid, son père, arrivé en France à l’été 1962 dans les camps de transit hâtivement mis en place, il ne parle plus de l’Algérie de son enfance. Comment faire ressurgir un pays du silence ?

Le prix Goncourt des lycéens est toujours une valeur sûre. Je suis étonnée une fois de plus de la qualité du roman qui a remporté les suffrages d’autant plus que L’Art de perdre est un sacré pavé et que le sujet abordé n’est pas évident.

Je vais tenter (je dis bien « tenter ») de vous donner mon avis sur ce roman dense et foisonnant. Alice Zeniter choisit de raconter trois vies qui se succèdent mais qui en même temps prolongent celle des autres: sur trois générations, le lecteur suit donc Ali, Hamid et Naïma.

Ali est Kabyle. C’est un paysan qui a réussit puisqu’il regarde les autres travailler la terre et les oliviers pour lui. Patriarche d’une vaste famille, il assiste impuissant à la longue descente aux enfers de son pays. Pris entre le FLN et l’armée française, Ali devient un harki malgré lui. En 1962, il fuit son pays avec Yema et ses enfants dont l’aîné s’appelle Hamid.

La deuxième partie du livre est donc consacré à Hamid, le fils aîné de la famille. Il arrive en France alors qu’il a une dizaine d’années. Il a tout à y apprendre et il fait le constat amer de son anormalité. Il n’a pas de pays, pas de racines: ni vraiment Algérien, ni vraiment français, Hamid tente de se construire dans une France des années 70 qui se libère peu à peu.

La dernière partie du roman est consacrée à Naïma, la fille d’immigré, issue d’un mariage mixte. Elle va chercher ses racines, complètement perdue sous le poids du silence et des non-dits.

A partir de cette trame, Alice Zeniter tisse une histoire générationnelle intense et dense. En toile de fond, la guerre d’Algérie: une guerre  fratricide, violente, qui laisse des traces profondes et douloureuses. Hamid incarne une génération qui a tenté d’oublier, de se fondre dans la masse pour faire corps avec une France qui bien souvent ne veut pas de ces enfants d’immigrés trop bronzés tandis qu’Ali a courbé l’échine toute sa vie, honteux d’être ouvrier, honteux de s’incliner devant le patron qui lui donne du « bicot » à tout va. Naïma paraît affranchie de ce poids. Jeune, belle, ambitieuse et libre, elle jouit d’une double culture mais fait le constat d’un manque, d’une perte qu’elle n’aura de cesse de combler.

L’écriture d’Alice Zeniter explore des pistes délicates et soulève des questions multiples: l’identité, la dignité, la culpabilité, le poids des traditions et de l’héritage. Elle éclaire des problèmes encore actuels qui rongent la société française et met en évidence qu’un individu ne peut pas se construire sans racines solides.

Avec cette fresque familiale foisonnante, Alice Zeniter livre un roman fort et passionnant.

2 réflexions sur “L’Art de perdre d’Alice Zeniter

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