Combien de pas jusqu’à la lune de Carole Trébor

Combien de pas jusqu’à la lune de Carole Trébor,

Publié aux éditions Le Livre de Poche,

2022, 443 pages.

Dans les années 1920, en Virginie occidentale, Joshua et Joylette habitent une modeste ferme avec leurs quatre enfants, à qui ils transmettent leur curiosité du monde et une dignité teintée de modestie. « Vous êtes aussi bons que n’importe qui dans cette ville, mais vous n’êtes pas meilleurs. », ne cesse de répéter le père. Katherine, la benjamine, passe ses journées à compter. Elle calcule le nombre de pas pour aller à l’école, mesure la hauteur des arbres, se questionne sur la distance qui sépare la Terre de la Lune… Grâce à ses capacités exceptionnelles, elle entre au lycée à 10 ans, puis obtient ses diplômes universitaires à 18. Elle commence ensuite une carrière de professeure, mais c’est un autre avenir qui l’attire…

L’Histoire a longtemps oublié des noms prestigieux parce que ces hommes et ses femmes étaient nés femmes, noirs ou encore homosexuels. Il suffit de penser à Marie Curie, Alan Turing ou comme ici à Katherine Johnson. Si vous posez la question autour de vous, je suis persuadée que peu de gens sauront qui elle est. Et pourtant, c’est l’une des plus grandes mathématiciennes du 20ème siècle, « oubliée » par l’Histoire parce que c’était d’abord une femme et qu’elle était noire dans une Amérique ségrégationniste. Double peine…

Carole Trébor propose ici une biographie romancée de Katherine Johnson et j’ai été subjuguée, happée par cette histoire. Katherine naît dans une famille aimante avec des parents conscients des difficultés qui se dresseront devant leurs enfants mais qui les ont toujours, sans cesse, à chaque moment encouragés à se dépasser et faire des études. Katherine est une petite fille précoce qui apprend à lire seule. Génie des maths, des langues, elle ira à l’université à 15 ans! Elle entrera à la NASA et c’est en partie grâce à elle que la fusée Apollo 11 décollera pour la lune.

Ce fut une lecture passionnante et enrichissante. Quand je vois les obstacles qui se sont dressés sur la route de Katherine, je ne peux qu’être admirative devant cette femme. Quel courage! Quelle intelligence! Son parcours est tout simplement incroyable.

Combien de pas jusqu’à la lune est le genre de roman que tous devraient lire pour s’inspirer de cette femme admirable!

Simone Veil: Mille vies, un Destin d’Amandine Deslandes

Simone Veil: Mille Vies, un Destin d’Amandine Deslandes,

Publié aux éditions City,

2021, 304 pages.

Simone Veil est une figure féminine que j’admire particulièrement. Elle a marqué durablement la société française et si on retient sur tout d’elle « la loi Veil » sur l’IVG, il n’en demeure pas moins qu’elle a œuvré dans de nombreux domaines. Cette biographie permet de revenir sur le destin incroyable de cette femme admirable.

Simone Jacob est élevée avec ses deux sœurs et son frère, à Nice, dans une famille juive non pratiquante. Son père et sa mère n’auront de cesse de lui répéter qu’elle est avant tout française. Sa mère incite ses filles à faire des études et à avoir un métier. Son père lui donne accès à la culture, au besoin de débattre, de s’exprimer. Elle vient d’une famille très aimante.

Déportée en 1944 à Auschwitz avec sa sœur Milou et sa mère, qui perdra la vie à Bergen-Belsen, Simone reviendra marquée bien sûr mais persuadée qu’une union entre les peuples d’Europe ne peut être que la solution d’avenir. C’est avec cette idée chevillée au corps qu’elle construira sa vie de femme, de mère et plus tard de magistrate.

Cette biographie se lit un peu comme un roman. J’ai été captivée par cette vie, si dense, que Simone s’est construite. Elle, une femme, qui plus est juive, sera marquée par le destin à de nombreuses reprises. Elle se relève à chaque fois, puisant une force morale dans sa foi en un avenir meilleur. Profondément humaniste, elle va se lancer en politique pour changer les choses de manière concrète. Elle en a fait des choses, Simone. C’est bien sûr la loi sur l’avortement que l’on retient avant tout mais elle a beaucoup œuvré notamment pour améliorer les conditions de vie des prisonniers, elle qui avait vécu l’enfer dans les camps.

Amandine Deslandes nous raconte aussi son combat au quotidien pour s’imposer dans un monde d’hommes. Quelle force de caractère quand des collègues ont pour instruction de ne pas lui adresser la paroles parce qu’elle est une femme! Quelle volonté de ne jamais rien lâcher, de sacrifier parfois sa vie de famille pour réformer, travailler, faire avancer les choses afin que la société progresse! Car Simone Veil ne briguait pas le pouvoir. Ce qu’elle souhaitait, c’était agir pour le bien de la société. Européenne convaincue, elle a œuvré toute sa vie pour la paix des peuples!

Avec simplicité mais rigueur, Amandine Deslandes nous livre ici une biographie passionnante qui se lit comme un roman. Une bonne entrée en matière pour découvrir la vie de Simone Veil.

Jane Austen: un cœur rebelle de Catherine Rihoit

 

 

 

 

Jane Austen, un cœur rebelle de Catherine Rihoit,

Publié aux éditions de L’Archipel,

2018, 454 pages.

 

Je voue une passion sans bornes à Jane Austen. J’aime ses romans, j’aime son style, ses traits d’esprits et son intelligence. J’ai lu déjà bon nombre de biographie et je connais bien sa vie. Alors pourquoi en lire une de plus? Peut-être parce que je suis insatiable dès qu’il s’agit de Jane et que je cherche toujours à en savoir plus.

Catherine Rihoit nous propose ici une biographie originale. Elle raconte la vie de Jane Austen comme s’il s’agissait d’une héroïne de roman, reproduisant des dialogues, imaginant ses réactions, ses vêtements, ses conversations, ses pensées. C’est plutôt bien mené. On vit avec Jane Austen pendant toute cette lecture. Le style peut désarçonner car Catherine Rihoit ne suit pas forcément de manière linéaire et chronologique la vie de Jane. Elle anticipe parfois, revient en arrière. Il faut suivre le fil de sa pensée sans s’y perdre.

Comme je le disais plus haut, on vit avec Jane Austen durant cette lecture. On pénètre dans son intimité, sa sphère familiale, sa relation fusionnelle avec sa sœur Cassandra. Son éducation a été plutôt libre: son père la laissait puiser dans sa bibliothèque à sa guise. Elle a écrit très jeune, très tôt, très vite. Enfant, adolescente, Jane Austen est déjà perçue par sa famille comme différente, comme particulière. Elle lit beaucoup. Elle s’intéresse à de nombreuses choses mais surtout elle prend rapidement conscience de sa position dans la société: ni vraiment pauvre, ni vraiment riche. La seule perspective des femmes réside dans le mariage.

Et c’est là où la biographie de Catherine Rihoit se révèle intéressante: Jane Austen comprend très jeune que si elle se marie, elle renonce à toute ambition littéraire et artistique. A l’inverse, si elle ne se marie pas, elle renonce à la maternité et à la possibilité de vivre une vie plus digne, de s’élever dans la société. Elle fera de ses héroïnes son combat à l’image d’Elizabeth Bennett, indocile face à Darcy parce qu’elle cherche à être aimée pour ce qu’elle est.

Catherine Rihoit mêle aussi des analyses très poussées des romans austeniens. Ce sont peut-être les parties qui m’ont le moins plu car elles apparaissent parfois ardues et arides. Elles ont en tout cas le mérite d’éclairer les choix narratifs de Jane Austen. Il est intéressant de constater comme sa vie a influencé ses intrigues et le caractère de ses personnages.

A mi-chemin entre le roman et l’enquête, Catherine Rihoit offre à ses lecteurs une magnifique biographie prenante et passionnante! 

 

Manderley For Ever de Tatiana de Rosnay

Manderley For Ever de Tatiana de Rosnay,

   Publié aux éditions Albin Michel et Héloïse d’Ormesson,

   2015, 457 pages.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

«La nuit dernière, j’ai rêvé que je retournais à Manderley…» : la phrase qui ouvre le roman Rebecca a fait rêver des générations de lecteurs. Tout le monde connait L’Auberge de la Jamaïque, Rebecca ou Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock, mais l’auteur des œuvres qui l’ont inspiré, Daphné du Maurier, est aujourd’hui tombé dans l’oubli.
Pourquoi Daphné du Maurier est-elle considérée comme un auteur de romans féminins, alors que ses histoires sont souvent noires et dérangeantes ? Que sait-on vraiment de son lien étroit avec la France, de ses liaisons longtemps tenues secrètes, des correspondances ténues que son œuvre entretient avec sa vie, et dans laquelle elle parle beaucoup de son histoire familiale ? Portrait d’un écrivain par un autre écrivain, Manderley décrit minutieusement une vie aussi mystérieuse que l’œuvre qu’elle sous-tend – toute de suspense psychologique –, et met en lumière l’amour fou de cette femme pour son manoir de Cornouailles.

 

Voilà déjà quelques années que je suis tombée sous le charme de la plume de Daphné du Maurier. C’est un peu par hasard que j’avais acheté Rebecca. J’avais dévoré ce roman énigmatique, terrifiant et tout en finesse. Encore une fois, c’est le hasard qui m’avait mis sur la route du Bouc-émissaire, le roman de Daphné que je préfère peut-être le plus tant la tension psychologique y est cruelle et palpable. Et puis les lectures se sont enchaînées sans jamais avoir eu (ou presque) de déceptions.

En fouinant sur Internet, j’avais cherché à me renseigner sur l’auteur. On y trouvait des banalités sur sa vie, rien de bien intéressant. Il existait pourtant des biographies et même une autobiographie de Daphné du Maurier, hélas! toutes en anglais et mon niveau pas terrible du tout m’empêchait de les lire. J’ai même pensé, à un moment donné, à me lancer moi-même dans la biographie de Daphné (pensée vite oubliée).

Bien heureusement, Tatiana de Rosnay a pris les devants et a eu la très bonne idée d’écrire sur la vie de Daphné du Maurier. Sa biographie se lit comme un roman et permet de dépoussiérer l’image de l’auteur. Complète et dense, Tatiana de Rosnay aborde bien des aspects de la vie de Daphné.

On y découvre une jeune fille élevée dans un milieu d’artistes aisé. La maison de son enfance (en photo dans le livre) est impressionnante. Daphné est une jolie fille qui fera tourner bien des têtes. Aussi surprenant que cela puisse paraître, elle aurait préféré être un garçon. Ce rêve de fille la poursuivra tout au long de sa vie que ce soit dans ses relations complexes avec les autres femmes ou même avec ses propres filles auxquelles elle préférera Christian, son fils unique.

On y découvre une femme qui est loin d’être une midinette. Elle apprend à conduire, porte pantalon et pull, fréquente des garçons, n’hésite pas à vivre seule sur la côte anglaise dans une maison glaciale pour écrire et être à son aise!

Tatiana de Rosnay nous offre une vision passionnée de Daphné pour qui l’écriture prime sur tout le reste et avant tout sur sa famille. Car Daphné est une femme libre qui ne veut pas sacrifier l’écriture aux autres. Son mariage n’y survivra d’ailleurs pas.

Il est étonnant aussi de constater le succès mondial qu’elle a obtenu à l’époque grâce à la publication de Rebecca. Des fans venaient même jusque chez elle pour lui demander des autographes! Daphné était connue partout. Toutes ses œuvres furent adaptées au cinéma. Il est drôle de penser qu’aujourd’hui elle garde juste une image d’auteur romantique avec sa seule œuvre Rebecca! Tatiana de Rosnay rétablit heureusement la vérité et montre au lecteur que Daphné n’avait rien d’une romantique ou d’une auteure fleur bleue. Ses œuvres traduisent la noirceur de l’âme, ses héros sont torturés comme elle l’a pu l’être elle-même.

Et puis il y a surtout sa passion pour le domaine de Menabilly qui deviendra sa source d’inspiration pour Manderley. C’est peut-être là sa plus grande passion, sa plus belle histoire d’amour. Daphné s’investit dans ce lieu mystérieux. Elle tombe amoureuse du paysage comme elle tomberait amoureuse d’un homme.

Tatiana de Rosnay restitue avec  justesse l’histoire de cette femme étonnante, fragile et complexe. Un grand merci pour cette superbe biographie qui illumine Daphné d’une nouvelle aura.